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La « ville code-barre » forme un entrelacs miniature de découpes de cartes à jouer minutieusement assemblées, ornées de bandes noires et blanches. Archétype de la ville mondialisée qui concrétise l’utopie néolibérale, elle offre d’emblée le paradoxe d’un espace densifié, mais quasi déserté. Si quelques torses humains apparaissent ça et là, il s’agit de momies à moitié ensevelies, atomisées, embaumées avant l’heure. L’architectonique aride et anguleuse de la ville écrase les identités : dans la « ville code-barre », nulle possibilité de se constituer comme Sujet, l’altérité est un point de fuite.
À travers cette pièce, Eva Evrard évoque avec puissance la réification et la dépersonnalisation à l’œuvre dans les logiques d’urbanisation contemporaines. Ainsi de ces corps désincarnés, surplombés par des numéros comme greffés à la peau, et réduits au rang de sans-noms par cette centrifugeuse des âmes.
Par contraste, les murs de la ville portent parfois la réminiscence du monde animal refoulé. Ce sont les uniques traces visibles d’une émotion, qui condensent en un regard toute la colère du vivant. L’artiste les a disséminées avec malice et parcimonie entre les blocs de tours, comme si elles revenaient hanter les rues et nous interroger : cette ville-mouroir est-elle vouée à demeurer l’épicentre du monde ou à devenir sa périphérie ? Est-elle située en marge d’un autre paysage-monde ?
Avec finesse, Eva Evrard nous interpelle sur notre rapport collectif à la cité, et surtout, à l’imaginaire qu’il déploie. Comment habiter le monde ? Comment réinventer la ville pour esquisser une aventure commune, la reconquête d’un visage ? Comment s’inventer dans cet environnement qui nous façonne autant que nous le constituons en retour ? Aur(i)ons-nous une autre carte à jouer que celle de ce dépérissement urbain et existentiel organisé ?
Patricia Naftali
Juriste et philosophe
EN
The “barcode city” is a miniature maze of meticulously assembled playing card cut-outs, adorned with black and white stripes. An archetype of the globalised city embodying a neo-liberal utopia, it stands as a paradoxically crowded but also near-deserted space. If a few human figures appear here and there, they are but mere half-buried, atomised mummies, embalmed before their time. The arid, angular architecture of the city destroys identities; it is impossible to become an Individual in the “barcode city”, where otherness is a vanishing point.
Through this piece, Eva Evrard powerfully evokes the objectification and depersonalisation at work in contemporary urbanisation. So it is with these disembodied bodies, overlaid by numbers as if grafted onto the skin, and reduced to a centrifuge of nameless souls. By contrast, the city walls are sometimes reminiscent of a repressed animal world. They are the only visible traces of an emotion, compressing all the fury of the living in one look. The artist has scattered them mischievously but sparingly between the tower blocks, as if coming back to haunt the streets to ask: is this city of death destined to remain the epicentre of the world or become its periphery? Is it located on the edge of another world-landscape?
Eva Evrard subtly questions our collective relationship to the city and above all, the things it would have us imagine. How do we inhabit the world? How do we reinvent the city so as to map out a shared adventure, to reclaim its image? How do we invent ourselves in an environment that shapes us as much as we shape it in return? Do we have another card to play than this one, with its organised urban and existential decline?
Patricia Naftali
Jurist and philosopher